Le plaisir de naviguer contrarié par le risque lié à la courte prescription d’assurance.

Belle-Ile, juillet 2011, alors qu’il est au mouillage, le nouveau voilier de Monsieur VOILEUX, qu’il a acquis avec un crédit-bail, est gravement endommagé par un réchaud à gaz enflammé jeté à la mer par voisin de mouillage et ce, depuis son propre bateau.

Après expertise, ce dernier ayant reconnu le principe de sa responsabilité, Monsieur VOILEUX signe avec l’assureur de son propre bateau, une quittance d’indemnité de sinistre prévoyant le versement de la somme de 35.000 euros.

Cette somme pour autant ne lui est pas versée.

Se focaliser sur le seul responsable du dommage ?

Au lieu d’en demander le paiement à son assureur, Monsieur VOILEUX fait le choix de se retourner contre le propriétaire du voilier responsable des dégâts et son assureur.

Cela s’avérera un mauvais calcul.

Oui, c’est vrai, dans un premier temps, il a obtenu de ces derniers et en exécution d’une décision judiciaire en référé le versement d’une provision qui lui a permis de faire réaliser rapidement les réparations et il a pu naviguer dès l’été suivant.

Mais cette ordonnance de référé a été, par la suite, réformée dans la mesure où selon les juges d’appel, la responsabilité du propriétaire du voilier n’était pas évidente et où le juge des référés, qui est le juge de l’évidence, ne pouvait, de ce fait, caractériser l’existence manifeste d’un droit à réparation.

De ce fait, Monsieur VOILEUX a été contraint de reprendre sa demande de réparation devant le juge du fond, en ne mettant toujours pas en cause son propre assureur.

En première instance, lui a obtenu gain de cause contre le propriétaire du voilier et son assureur. Mais en appel, par un arrêt rendu en novembre 2016, la cour a retenu, au vu de la quittance qu’il avait signée avec son propre assureur qu’il devait avoir été déjà indemnisé et que le bateau ayant été acquis au moyen d’un crédit-bail, il pouvait agir à la place du crédit-bailleur.

Oublier d’agir contre son assureur et la prescription des actions nées du contrat d’assurance.

Le 18 décembre 2016, face à cette situation et étant exposé au risque de devoir restituer la provision qu’il avait déjà utilisée pour faire les réparations, Monsieur VOILEUX a de nouveau saisi le juge et ce, pour obtenir de son assureur le paiement de l’indemnité que ce dernier aurait dû lui verser en 2011 et à défaut, la condamnation du propriétaire du voilier responsable des avaries et son assureur.

Ces deux demandes ont été jugées irrecevables, tant par le premier juge qu’en appel.

Concernant sa demande fondée sur la quittance signée en 2011, elle a été jugée tardive car prescrite et s’agissant de la demande subsidiaire formée contre le propriétaire du voilier et son assureur, elle se heurtait à l’autorité de chose jugée résultant de l’arrêt rendu en novembre 2016. Ce dernier point n’appelant de commentaire.

Ce qui nous intéresse, c’est le jeu de la prescription spéciale, qui prévoit que toutes les actions dérivant du contrat d’assurance, qu’elle soit engagée par l’assuré ou l’assureur, doivent, être en principe, être engagées dans un délai bref de deux ans (L114-1 du Code des Assurances).

A priori, donc, la position de l’assureur du bateau était solide. Monsieur VOILEUX ne pouvait plus,
en 2016, demander le paiement d’une indemnité d’assurance fixée dans une quittance qu’il avait
signé en 2011 et ce, par ce qu’il était prescrit.

Il se retrouvait donc dans une situation, où d’un côté, il ne pouvait plus agir en réparation contre son voisin de mouillage, au motif notamment qu’il avait signé une quittance avec son assureur, et où de l’autre côté, il était prescrit pour demander le paiement de l’indemnité d’assurance qu’il avait acceptée de son assureur.

La prescription spéciale d’assurance exclue la prescription plus longue de droit commun.

Il faut savoir que la durée limitée de la prescription relative aux actions nées du contrat d’assurance est largement critiquée et c’est pourquoi, il a été prévu que l’assureur doit être en mesure de justifier avoir informé l’assuré sur cette prescription et ce, sous peine pour l’assureur de ne pouvoir lui opposer (R112-1 du Code des Assurances).

Et ici, effectivement, Monsieur VOILEUX a pu bénéficier de cette protection légale, les juges du fond jugeant insuffisante l’information donnée par l’assureur, sur la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance.

Cependant, les juges du fonds sont allés trop loin.

Ils ont, en effet, considéré que si la prescription biennale prévue par l’article L114-1 du code des assurances ne pouvait pas être opposée par l’assureur, celui-ci, pouvait, encore, prétendre à l’application de la prescription quinquennale de droit commun prévue par l’article 2224 du code civil.

Ainsi, la cour d’appel a estimé que Monsieur VOILEUX était en mesure d’agir en garantie contre son assureur à compter du sinistre intervenu en juillet 2011, que la prescription de cinq ans a été interrompu par la quittance de son assureur en date du 13 octobre 2011 et qu’un nouveau délai de cinq a couru à compter de cette date. La nouvelle saisine du juge faite le 18 décembre 2016 par Monsieur VOILEUX contre son assureur était donc irrecevable.

Mais c’était oublier que pour la cour de cassation, l’effectivité de la sanction du défaut d’information de l’assuré sur la courte prescription pour agir contre son assureur (à savoir l’inopposabilité par l’assureur de cette prescription spéciale), passe par l’interdiction de se prévaloir de la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil.

Et c’est donc à juste titre que Monsieur VOILEUX a fait un recours devant la Cour de Cassation.

A la suite de la décision de la deuxième chambre de la cour de cassation rendue le 22 novembre 2022 (n° 21-17.327 P), soit l’assureur, qui a le temps et l’argent pour lui, a accepté de verser enfin l’indemnité qu’il avait prévu en 2011, soit le pauvre Monsieur VOILEUX a été contraint de devoir re-saisir la cour d’appel de Rennes.

Conclusion

En guise de conclusion : la question du délai dans lequel l’assuré peut agir contre son assureur est un terrain miné. Il convient d’être prudent. Il ne faut pas le perdre de vue cette question et ce, alors que l’on dirige principalement et naturellement son action vers l’auteur du dommage. Il faut tenir plusieurs caps.